L’industrie textile française, que l’on appelle French Tex possède une histoire séculaire, profondément enracinée dans plusieurs régions du pays. Du Nord à l’Alsace, en passant par Rhône-Alpes et la Champagne, ces territoires ont vu naître des savoir-faire uniques et des entreprises emblématiques. Pourtant, dès les années 60-70, la mondialisation et l’importation massive de produits à bas coût ont fragilisé ce patrimoine. Aujourd’hui, à travers des labels comme « Terre Textile », la filière tente de redonner un second souffle à la production locale.
Des terroirs industriels à l’identité forte
Depuis plusieurs siècles, le textile a façonné l’économie et l’urbanisme de certaines régions françaises. À Lyon, les canuts, célèbres ouvriers de la soie, ont marqué de leur empreinte le quartier de la Croix-Rousse avec ses immeubles aux plafonds hauts et ses traboules. Plus au nord, la dentelle de Calais a acquis une renommée mondiale, habillant les plus grandes personnalités, dont Kate Middleton pour son mariage princier. Dans la vallée de la Loire et en Champagne, des villes comme Roanne, Saint-Étienne et Troyes ont joué un rôle clé dans la confection textile.
Face à une concurrence accrue et des mutations économiques profondes, ces territoires ont dû se réinventer. Le label Terre Textile, créé pour valoriser les productions locales, vise à promouvoir ces savoir-faire traditionnels sur les marchés nationaux et internationaux.
Vosges Terre Textile : le linge de maison, un héritage préservé

L’industrie textile vosgienne a su tirer parti des ressources naturelles locales pour se spécialiser dans le linge de maison. Dès le Moyen Âge, les tisserands travaillaient la laine, le chanvre et le lin pour produire des draps, nappes et toiles de corps. L’eau des rivières permettait non seulement d’alimenter les filatures mais aussi de pratiquer le blanchiment sur prés, une technique ancienne consistant à exposer les tissus au soleil et à l’humidité pour en améliorer l’éclat.
Au XXe siècle, les Vosges deviennent un pôle majeur du textile français. Dans les années 1930, plus de 40 000 ouvriers y travaillent et le département assure 50 % de la production cotonnière nationale. Aujourd’hui, bien que l’effectif ait diminué, plusieurs entreprises historiques perdurent, à l’image de :
- Garnier-Thiébaut (fondée en 1833), spécialisée dans le linge de table haut de gamme,
- Blanc des Vosges (1843),
- Tradition des Vosges (1856),
- Linvosges (1923).
Le savoir-faire vosgien est particulièrement recherché par les hôtels de luxe et les palaces du monde entier.
Alsace Terre Textile : la terre de la couleur et des motifs

L’Alsace s’est illustrée par son expertise dans l’ennoblissement textile : la teinture et l’impression des étoffes. Grâce à l’acidité de son eau, la région a développé dès le XVIIIe siècle des techniques avancées pour colorer et embellir les tissus.
Jusqu’en 1975, le secteur textile est le premier employeur d’Alsace. Parmi les grandes entreprises, DMC (Dollfus-Mieg et Compagnie), fondée en 1746 à Mulhouse, est une référence mondiale en matière de fils à broder et à tricoter. Son expertise dans la teinture assure une reproductibilité parfaite des couleurs, avec plus de 570 nuances disponibles.
Aujourd’hui, l’Alsace continue de faire vivre cet héritage à travers des entreprises innovantes spécialisées dans l’impression textile et la teinture écologique.
Nord Terre Textile : dentelle, prêt-à-porter et innovations

Historiquement, le Nord de la France s’est imposé comme une capitale du textile, notamment avec la dentelle de Calais et la confection de prêt-à-porter à Roubaix. Au début du XXe siècle, Roubaix est même surnommée « la ville aux mille cheminées », en référence aux nombreuses manufactures textiles.
Le Nord est également un pionnier dans le Jacquard, un procédé de tissage complexe inventé par Joseph-Marie Jacquard en 1801 à Lyon. Ce savoir-faire se retrouve encore aujourd’hui dans la production de textiles haut de gamme.
Quelques entreprises emblématiques du textile nordiste :
- Dentelle Sophie Hallette, qui a habillé Kate Middleton,
- Tradilinge, expert en linge de maison,
- Manufacture Lemahieu, spécialisée dans les vêtements techniques et innovants (culottes menstruelles, vêtements de sport).
Cependant, la mondialisation et la montée des matières synthétiques ont fragilisé l’industrie locale. Dans les années 1960, le textile est le plus gros employeur du Nord, mais en quelques décennies, la filière a perdu une grande partie de ses effectifs.
Rhône-Alpes : de la soie aux bonneteries modernes

La région Rhône-Alpes est une terre historique de la soie. À Lyon, les canuts ont prospéré dès le XVIIe siècle, développant un artisanat raffiné et reconnu mondialement. Les appartements typiques du quartier de la Croix-Rousse témoignent encore de cette époque, avec leurs hauts plafonds conçus pour accueillir les métiers à tisser.
La région a également joué un rôle clé dans la bonneterie (confection de vêtements en maille), notamment à Roanne, Saint-Étienne et Bourg-en-Bresse.
Quelques noms notables :
- Le Slip Français, qui fabrique en partie sa production en Rhône-Alpes,
- Fleurs Pois & Cie, qui valorise la confection bressane,
- Charlieu, qui tisse pour 1083 et La Gentle Factory.
Ces entreprises prouvent qu’il est encore possible de produire du textile en France, en misant sur la qualité et l’innovation.
Troyes Champagne : le fief des bonneteries et du tricot
Troyes, longtemps considérée comme la capitale de la bonneterie française, est un autre berceau textile majeur. Dès le Moyen Âge, la ville voit s’installer des tisserands, filateurs et teinturiers. Au XIXe siècle, avec l’industrialisation, la région devient un leader de la production de bas et de vêtements en maille.
Dans les années 1930, la bonneterie emploie 40 000 ouvriers et représente la moitié du chiffre d’affaires textile français. Cependant, la mondialisation a durement frappé l’industrie troyenne. Petit Bateau et Lacoste, deux marques emblématiques nées ici, ne fabriquent aujourd’hui presque plus rien en France.
Malgré cela, certaines marques s’engagent à relocaliser leur production :
- Garçon Français,
- Baie Brune,
- Flair Bodywear,
- Friendly Frenchy
- Lacoste
- Petit Bateau
Ces nouvelles générations de fabricants tentent de redonner du dynamisme à cette industrie locale.
Petit Bateau, premier employeur textile de France
Depuis 1893, Petit Bateau s’est imposé comme une référence dans l’industrie textile française. Rachetée en 1988 par le groupe Rocher, l’entreprise a su préserver une partie de sa production en France, notamment à Troyes, tout en optimisant ses coûts avec une seconde usine au Maroc. Aujourd’hui, elle affiche une santé florissante avec un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros et une expansion croissante vers l’international.

Une logistique maîtrisée, un atout stratégique
L’un des points forts de Petit Bateau réside dans son centre logistique de Buchères, qui lui permet de gérer l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement, des références aux livraisons. Cette maîtrise s’est révélée essentielle lors de la crise sanitaire, garantissant la continuité des ventes en ligne alors que d’autres acteurs subissaient des retards.
Un retour aux fondamentaux : qualité et durabilité
Petit Bateau a profité des dernières années pour renforcer sa démarche écoresponsable. La marque mise sur le coton bio et un approvisionnement plus direct en matières premières afin de sécuriser sa production. À Troyes, où l’entreprise teint, tricote et confectionne une partie de ses vêtements, l’usine historique a été modernisée pour améliorer sa réactivité : ce qui demandait dix semaines hier est désormais réalisé en dix jours.
L’expansion digitale et internationale
Avec 30 % de son chiffre d’affaires réalisé en ligne, Petit Bateau vise les 50 % dans les années à venir. Si la France reste son marché principal, la marque se tourne vers le Japon, la Chine et d’autres pays à forte natalité pour compenser le vieillissement de la population européenne.
Une formation au service de la pérennité
Face au défi du recrutement dans le textile, l’entreprise a mis en place une école interne pour former de nouveaux artisans. Depuis son lancement, 35 stagiaires ont été embauchés, perpétuant ainsi un savoir-faire qui fait la renommée de Petit Bateau depuis plus d’un siècle.
Avec une stratégie mêlant innovation, engagement responsable et expansion internationale, Petit Bateau continue de s’imposer comme un pilier de l’industrie textile française.
Vers un renouveau du textile français ?
Face à des décennies de délocalisation, le textile français tente aujourd’hui un retour en force. Grâce à des initiatives comme le label Terre Textile, la production locale retrouve une visibilité et une reconnaissance. Des marques engagées choisissent de fabriquer en France, malgré des coûts plus élevés, misant sur la qualité et la durabilité.
L’enjeu est double : préserver un savoir-faire unique tout en répondant aux attentes des consommateurs, de plus en plus sensibles à l’origine des produits et à l’impact environnemental de leur fabrication.
Si le textile français ne retrouvera sans doute jamais son âge d’or industriel, il prouve néanmoins qu’il peut encore innover et séduire, en France comme à l’international.
Pour conclure
Les berceaux du textile en France, du Nord aux Vosges en passant par Rhône-Alpes et Troyes, témoignent d’un héritage riche et d’un savoir-faire précieux. Malgré les défis économiques et la concurrence mondiale, certaines entreprises relèvent le défi du Made in France, avec des produits de qualité qui séduisent de plus en plus les consommateurs. L’industrie textile française n’a pas dit son dernier mot.